J’ai lu récemment Dire Vrai d’Isild Le Besco.
Et je me suis demandée, célèbre ou anonyme, sommes-nous tous égaux face à la page blanche ? Lorsqu’il faut regarder derrière soi, ou plutôt en soi pour oser raconter son histoire.
À elle seule, dans son livre, elle réunit tant de raisons qui peuvent pousser à écrire le livre de sa vie.
Peut-être toutes les raisons.
S’écrire pour guérir
T’est-il déjà arrivé de prendre la plume pour écrire une lettre qui n’a pas vocation à être envoyée ? Poser sur le papier ton ressenti, exorciser un souvenir, dire les mots d’un amour malheureux…
Ou de te relever le soir, parce qu’une pensée refuse de te lâcher et de la poser sur le papier pour t’en libérer ?
Écrire peut libérer, écrire peut guérir. C’est une expérience intime dont toi seul·e fixe les règles et qui t’emmène au plus profond de l’intime. Une fois le stylo reposé, l’esprit est apaisé : les mots ont été fixés. Ils appartiennent à présent à la page. Il est d’ailleurs souvent étrange de relire ces mots quelques jours plus tard et de voir qu’ils nous sonnent étrangers.
En posant les mots sur son histoire, Isild Le Besco semble la redécouvrir et la voir s’écrire sous ses yeux.
« Je n’ai jamais utilisé les mots, ni à l’oral ni à l’écrit. Pour dire vrai, avec le Je. […] Au fur et à mesure que je nomme, ma vérité reprend le pouvoir. »
Dire vrai, Isild le Besco
Ici, elle raconte une vie d’emprise, un déni de plusieurs dizaines d’années qui prend vie au fil des mots. Les événements qu’elle relate n’avaient pas semble-t-il de lien entre eux, jusqu’à ce qu’elle les relie par son livre et qu’elle leur donne tout leur sens. Ou qu’elle en comprenne le sens.
S’écrire pour parler aux fantômes
« Sur quoi écrire, sinon sur ce qui nous hante » disait Nancy Houston.
Ce que je constate chez les personnes souhaitant écrire le récit de leur vie, c’est le nombre d’années depuis lesquelles ce projet les habite. J’ai envie de dire, les hante. Car ce sont bien ces souvenirs cachés, ces fantômes de notre vie que l’on n’a pas envie de réveiller. Et qui pourtant nous assaillent et n’auront de répit que nous ne soyons allés les regarder en face.
« Je suis prête à admettre que cela a existé. À réveiller les monstres »
Dire vrai, Isild Le Besco
Dans son cas, les monstres sont toutes les pièces du puzzle qui ont permis de faire d’elle, pour reprendre ses mots, « un terrain de maltraitance« . De son enfance, où les soins essentiels ont manqué, en passant par sa relation intime avec sa sœur, qui s’est délitée avec le temps, et ses premières expériences au cinéma. Tout semble avoir concouru à faire d’elle la victime qu’elle est devenue. Victime des hommes puissants, mais aussi victime de son histoire.
Écrire le transgénérationnel
J’ai parlé de puzzle ?
Écrire l’histoire de sa vie, c’est prendre conscience que l’on est une pièce d’un puzzle dont les autres membres nous composent. Heureuse ou malheureuse, personne n’est libre de l’histoire de sa famille. Écrire, c’est porter la voix de ses histoires avec un « s ».
« Être victime, mais de qui ? […] De la mémoire transgénérationnelle ? » « On ne sait pas comment c’était, la vie de notre mère avant nous. Aujourd’hui, elle est la seule survivante de son histoire. »
Dire vrai, Isild Le Besco
Isild Le Besco refuse de blâmer ses parents pour leurs négligences, préférant se pencher sur les raisons qui ont fait d’eux ce qu’ils sont, espérant par là-même mettre fin à la perpétuation des malheurs. Elle doit pour cela se plonger dans leur histoire, quitte à réaliser qu’il y a des béances, qu’elle ne pourra pas combler.
S’écrire pour être lu·e
Célèbre ou anonyme, la différence entre le livre de sa vie et un journal intime réside ici : dans une biographie, on sait que l’on va être lu. Et pas par n’importe qui.
Comment vont réagir mon père, ma sœur, mon fils, à la lecture de ma vie vue par mes mots ? Ce sont bien les seuls lecteurs qui importent. Ce sont les questions qui tiraillent l’auteur, qu’il s’agisse d’une actrice renommée ou d’un homme ou d’une femme comme toi et moi.
Car les autres lecteurs, qu’ils soient dizaines ou milliers, sont un mur de lecteur qui recevra notre histoire de façon anonyme qui, dès lors, ne nous appartiendra plus.
J’appelle cela la démarche de journal extime.
C’est un contresens. Michel Fournier, inventeur du concept, opposait l’intime et l’extime comme l’exploration « pleurnicharde » de soi (l’intime) ou l’exploration « courageuse » du monde (l’extime).
Mais pourquoi les opposer ainsi ? Et s’il s’agissait de voir l’exploration de soi à travers les yeux du monde ?
« J’écris sur notre famille et je sais ce que cela implique pour mes frères et sœurs […]
Mais il n’y a que l’écriture qui permet à chacun de regarder son passé en face et de mettre chacun face à ses responsabilités.«
Dire Vrai, Isild Le Besco
S’écrire pour transmettre
C’est sûrement la raison première.
On s’imagine aisément offrir une biographie à ses aînés : transmets-moi ton histoire avant de n’être plus là pour la dire, comme nous y invitent les Abécédaires de nos grands-mères… Mais on peut vouloir transmettre à 40 ans. On peut même vouloir transmettre à ses parents, leur donner notre vision du monde et de la vie.
Isild le Besco le dit clairement : elle écrit pour ses fils. Pour les libérer de son histoire et qu’ils n’aient pas à en porter le fardeau. Pour se donner la force et une raison de vivre.
« J’avais tant à réparer pour eux [mes fils] […] Merci de ce soutien, mon fils. C’est tellement éprouvant de regarder en arrière… Ma motivation, c’est d’alléger votre expérience en me guérissant »
Dire Vrai, Isild le Besco
S’écrire pour inspirer
Je ne crois pas qu’il faille s’appeler Steve Jobs pour nécessairement inspirer par son histoire. D’ailleurs, ceux qui sont trop loin de nous nous inspirent peu. Mais chaque individu au cours de sa vie a pu devoir déplacer des montagnes. Surmonter la maladie. Un deuil. Faire face à un accident. Traverser les océans. Élever une famille à bout de bras.
Est-ce cela qui nous inspire ? Le malheur rencontré par les autres ?
Non. C’est leur résilience. La force de l’être humain racontée dans un parcours de vie.
« Je ne prétends pas être un porte-drapeau ou un modèle à suivre »
Dire Vrai, Isild Le Besco
S’écrire et douter
Vais-je sembler narcissique ? C’est une des questions qui taraude ceux qui hésitent encore à se lancer dans le récit de leur vie.
Pourtant, loin d’une démarche autocentrée, je vois du doute partout. Douter du bien fondé de sa démarche. Douter de la façon dont elle va être perçue. Douter de sa capacité à la mener à terme. Douter, encore et toujours.
« Est-ce que c’est bien d’écrire ? Est-ce que ça va me libérer ? Je ne sais pas ».
Dire Vrai, Isild Le Besco
S’écrire et s’exposer
Peu de différence alors, entre s’écrire en privé et s’écrire en tant que personnalité publique. Dans la démarche, peu de différence. J’en vois une cependant. En prenant la parole, la personnalité s’expose.
« Tant de secrets exposés aux yeux du monde ».
Dire Vrai, Isild Le Besco
Et, si son histoire s’inscrit dans une Histoire collective, alors elle fera effet de caisse de résonance. Alors, écrire devient une prise de position.
Isild Le Besco publie son livre peu après la prise de parole de Judith Godrèche. C’est incroyable, de mettre en regard leurs deux histoires, si singulières et à la fois tellement similaires. Chacune, avec ses fêlures, a rencontré les mêmes hommes. Le même homme en l’occurrence. Mais aussi le même système, qui valide et qui permet. Chacune décide des années plus tard de prendre la parole et de faire entendre sa voix. Car on voyait leurs images, mais on ne savait rien d’elles. Judith Godrèche a choisi la prise de parole médiatique, et la voie de la création, avec sa série Icon of French Cinema.
Isild Le Besco choisit la voie de l’écriture intime et publie le récit de sa vie.
Et elles répondent, ce faisant, à l’éternelle question « faut-il séparer l’homme de l’artiste ». Elles la détournent plutôt : elles réunissent la femme et l’artiste, en faisant entendre leur voix.
« C’est un devoir qui s’est imposé à moi de participer à cette prise de conscience collective ».
Dire Vrai, Isild Le Besco